Jérémy Liron

48°49'37''N/2°13'19''E

"Stupeur des paysages urbains" texte paru dans Azart et écrit par Gérard Gamand, 2011

Les murs sont tristes, les ciels uniformes, les arbres peints de la même manière que le béton, sans différence. Il y a dans le travail de ce jeune artiste une poésie lugubre qui traduit parfaitement la stupeur des paysages urbains. Pas d’histoire à raconter, juste le silence d’un monde qui se jette à nous dans son immobilité même.

Natif de Marseille, Jérémy Liron après trois ans aux Beaux-arts de Toulon est « monté à paris » pour deux années suivantes. Là il a passé son agrégation et son CAPES avant de redescendre à Lyon, chassé par les prix de l’immobilier parisien. C’est donc à Rillieux la Pape, dans la banlieue Nord-Est de Lyon que nous sommes allés le rencontrer dans son atelier. Il travaille dans un petit bâtiment industriel qu’il partage avec une entreprise de plomberie. Nous avions repéré sa peinture lors de l’exposition que l’Hôtel des Arts de Toulon lui avait consacré au début de l’année 2011. Connaissant l’œil aigu de son directeur Gilles Altieri, nous avons voulu en savoir plus sur l’œuvre de ce jeune peintre de trente et un ans.

Mince, blond roux, les yeux bleus derrière de fines lunettes, Jérémy nous reçoit avec une certaine réserve qui semble toute naturelle. Intellectuel, excellent écrivain (à lire notamment les textes de son blog « Les pas perdus », un véritable régal… Ndlr), calme et solitaire, précis dans les mots qu’il utilise il s’exprime d’une voix douce : « lorsque j’ai commencé à peindre la banlieue parisienne, ses barres d’immeubles, ses tours des quartiers difficiles, j’avais besoin de saisir ces masses surgissant d’un paysage. J’étais attiré par ces zones transitoires. Du reste ce n’était pas tellement pour peindre ces architectures mais plutôt pour traduire le rapport qu’elles entretenaient avec un endroit. J’avais beaucoup tourné dans ces lieux transpercés par le RER et je ne voulais pas de personnages, pas de détails ou d’anecdotes, je voulais des tableaux à plat comme lavés de toute narration ». Tout de suite le ton est donné. La poétique de Jérémy Liron n’appartient pas à une quelconque velléité sociologique ou politique mais bien plutôt à une vision que nous pourrions qualifier de proustienne, comme la traduction picturale d’un souvenir.

Jérémy Liron travaille à partir de photos qu’il réalise, utilisées comme des carnets de notes. Il aime capter ses impressions lorsqu’un volume lui semble avoir une bonne lumière. Pourtant lorsqu’il réutilise ces images figées, il n’y a jamais la volonté descriptive d’un lieu mais plutôt la volonté d’en extraire la personnalité. Il s’agit alors de regarder non pour reconnaître mais pour voir. « Un immeuble est d’abord une forme perçue, plus ou moins lointaine, puis une trame, un rythme dans les fenêtres, des couleurs qui se créent dans le frottement des branches contre l’angle net du béton… ».

A partir de ses souvenirs et de ses photos, le peintre va alors construire son tableau. On devrait écrire ses tableaux puisqu’il travaille par série de plusieurs en même temps toujours dans le même format carré de 123x123cm. Très curieusement, ils sont numérotés à la suite les uns des autres, sous le vocable de « Landscape(s) ». Les titres sont : 82 ou 118, 61 ou 89… Comme les différentes stations d’un long chemin. L’artiste a expliqué : « Cette idée de station est tout à fait juste. Ce serait même une très belle entrée dans mon travail : cette idée de pause, arrêter un moment le monde par une vue, être arrêté par un certain arrangement des choses qui soudain se donnent à voir de manière singulière, avec insistance ». Armand Dupuy a écrit dans le catalogue de l’exposition « Lyon-Béthune » : « Il se pourrait que les tableaux de Jérémy Liron traitent des rapports entre l’immobilité du monde et les déplacements d’un sujet. Ou de l’inverse. Ou même des mouvements et des actions réciproques de chacun dans l’autre. Il se pourrait qu’il traite de cette friction qui produit des étincelles. Car le monde file, il nous échappe, nous évacue. Nous luttons de toutes nos forces mais nous filons avec. Captifs, mais toujours exclus ». (…) Dans toute la démarche du peintre il y a cette volonté d'abstraire les choses, d'effacer toutes les anecdotes ou le côté pittoresque du paysage. Il cherche une lumière létale presque aride quand tout est épuré à l'extrême, comme délavé. "J'évite soigneusement toute narration pour que le regardeur se retrouve face à une pièce brute comme dans une sorte de contemplation". L'effet en est accentué par la mise en boîte du tableau derrière un plexiglas qui le rend intouchable. Derrière l'écran, le spectateur peut voir son image en reflet provoquant un étrange sentiment... De toile en toile, Liron cherche avec une obsession sérielle à épuiser le paysage sans jamais atteindre l'objectif fixé, si tenté qu'il y en ait un. Images inventées à partir de fragments perçus, bref moment d'éblouissement qui s'enfuit dans les plis de la mémoire, le peintre tente de "faire et réfléchir l'expérience d'un monde qui se jette à vous dans son immobilité même". Nous parcourons l'atelier avec le plaisir de la découverte. Les tableaux de même format déroulent une histoire silencieuse qui fait curieusement penser à des natures mortes. "Il m’est souvent apparu que le paysage, délaissant son rôle ordinaire de décor de fond, vienne au devant de nous se signifier ou se révéler comme le sujet même alors que nous n’étions que silhouettes transitoires. Impression que les photographies anciennes, si longues à capturer l’image des choses, mettaient en évidence ne laissant voir des passants que nous sommes que quelques silhouettes fantomatiques tandis que la ville derrière affirmait la compacité de ses volumes et ses ombres. Dans ces instants, le paysage est semblable aux œuvres d’art qui nous accompagnent, nous épaulent et nous survivent semblant abolir l’espace et le temps dans une immobilité pleine d’indifférence". Parce que ses tableaux revendiquent une certaine austérité, parce que ses explications théoriques sont méticuleuses, parce que nous sommes dans la métaphysique, Jérémy Liron a quelquefois l'image d'un peintre "intello". De ce que nous avons vu, il est avant tout un peintre éminemment sensible qui capte des sensations proustiennes sur un sujet unique, presque obsessionnel... " C’est revenu souvent le fait de me qualifier de peintre intellectuel (dans un sens parfois péjoratif), théoricien ou littéraire, s’appuyant sur le fait que j’ai passé l’agrégation (quelle idée !) ou que je me mêle d’écriture (chacun sa place !). En vérité, je ne me crois pas peindre en intellectuel. Bien sûr, un arrière-fond culturel ou théorique fait que les gestes que je fais ne sont pas toujours innocents (en cela ce que je fais ne relève pas de l’art brut). Je sais parfois qu’une bordure va lever des questions sur l’image, qu’un plan rabattu va évoquer un lointain débat. Mais justement, tout ça n’est que lointain, second. La réflexion et les références viennent après le geste, ou au mieux l’accompagnent, mais jamais ne le précèdent. Et donc, à ce moment du geste, il n’y a pas grand-chose de plus qu’une volonté d’arranger les choses ensemble ou de donner du corps. Et pour ça un diplôme est de peu de secours. C’est très intuitif. ".

Pour plus d'informations :
http://www.lironjeremy.com/index.htm

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