Éric Foucault

47°21'08''N/0°39'48''E

"Des espaces incertains" par Frédéric Herbin

Depuis 1998, Eric Foucault développe un travail sur les notions de territoire, de paysage et des usages sociaux ou politiques qui les peuplent. Aujourd’hui, avec la sortie de son livre la nuit, tous les routiers sont gris, qui matérialise une démarche démarrée en 1999, on se trouve face, non pas à la clôture d’une recherche, mais à une nouvelle médiatisation de celle-ci. Toutes les photographies, cartes, tableaux, diagrammes ou textes, qui ponctuent cet objet conçu comme une étude sociologique sur les « lieux de drague homosexuelle » et les différents publics qui les fréquentent, frappent par la cohérence de leur propos et la diversité des formes produites. En effet, Eric Foucault, comme la plupart des artistes depuis trente à quarante ans, ne s’embarrasse pas des questions de pureté des médiums artistiques. Que ce soit lors de performances, par la réalisation de photographies, de dessins ou de vidéos, l’intérêt de son travail tient toujours dans le process qui permet le passage d’une question aussi impalpable que celle des usages qui règlent un territoire donné, à la production d’une forme esthétique qui la donne à voir.

Cet enjeu est justement central dans la pratique d’Eric Foucault : représenter des faits qui appartiennent par essence au domaine de l’immatériel et qui appellent donc le recours à un support pour être communiqués. A ce sujet, l’année 1998 donne lieu à de premiers questionnements qui apparaissent comme séminaux pour son œuvre. C’est effectivement pendant sa préparation du diplôme National d’Art et Technique (design d’espace) qu’il commence à s’intéresser aux « non-lieux », aux espaces sans noms, qui ne sont pas définis par une quelconque autorité de régulation mais uniquement par l’utilisation qui en est faite. La notion de « carte sensible », introduite dans les cours et débats qui animent le DNAT semble encore aujourd’hui des plus opérantes pour qualifier la façon dont Eric Foucault envisage les espaces. Ainsi, quand il s’intéresse à un endroit particulier ce n’est pas sous l’angle de la fonction première qu’on lui a alloué, mais avant tout sous l’angle de son usage, c’est-à-dire la façon dont ses usagers le perçoivent et surtout la façon dont ils le pratiquent. On voit très bien apparaître cette question dans les premiers travaux Le Bois de la Chaîne et Tao collectif de 1998 qui, à travers la réalisation de maquettes basées sur la représentation de pleins et de vides, permettent de visualiser la forme que prennent les déplacements effectifs des personnes qui traversent ces deux lieux singuliers.

Rapidement, la carte des espaces étudiés devient un outil privilégié de l’œuvre d’Eric Foucault, principalement avec la série Cartographies entre 2001 et 2006, que ce soit pour matérialiser les chemins tracés par les promeneurs, les « lieux de drague homosexuelle », les territoires de la prostitution féminine ou encore les endroits fréquentés par les sans-abri, donnant naissance à un vocabulaire esthétique complet dont témoigne l’invention de multiples pictogrammes non dénués d’humour. La lumière et plus particulièrement celle du lampadaire, qui tient une place prépondérante dans la démarche de l’artiste, fait également l’objet de cartographies avec la série La Nuit vue du ciel, commencée en 2005. De nouveau, il s’agit de rendre compte de la façon dont des usages non prévus par les autorités donnent naissance à de nouveaux espaces.
La nuit, alors que tout s’efface dans le noir, la lumière vient dessiner de nouveaux territoires éphémères et caractérisés encore une fois par leur immatérialité étant donné la nature même de ce qui les fait exister. La série de photographies Abstractions de 2001, reprise dans la nuit, tous les routiers sont gris est à ce titre des plus exemplaires. Elle montre, grâce aux forts contrastes révélés entre les zones sombres et lumineuses, à quel point l’éclairage public structure notre environnement et comment les espaces laissés dans l’ombre deviennent des lieux possibles. C’est justement dans cette marge, ce hors champ qui échappe au visible institué par les autorités, que naît la multitude de lieux de socialité auxquels Eric Foucault s’est principalement intéressé. Effectivement, considéré par l’artiste comme le symptôme d’une société régulée, l’éclairage public existe comme déclencheur d’espaces qui cherchent à échapper à l’observation, si ce n’est à la surveillance.

La lumière devient donc une problématique centrale dans l’œuvre, à la fois objet d’un constat quant à son rôle dans la constitution de territoires nocturnes, elle est aussi le symbole des aménagements effectués par les autorités afin de régler notre environnement. Le dernier projet d’Eric Foucault, Ah ! ça ira ça ira ça ira, qui associe la forme du lampadaire à celle de la potence, est sans ambiguïté sur le rôle historique que joue l’éclairage public comme outil de surveillance imposé par le pouvoir, tel que Michel Foucault à pu l’affirmer avec Surveiller punir. Par extension, dans les installations Poursuite et Stéréovision, respectivement de 2001 et 2002, c’est le téléviseur qui est pointé comme source lumineuse, faisant ici référence aux idées développées par Paul Virilio dans La Machine de Vision. La performance Parmi la nuit, réalisée en 2005, qui reprend ce type de dispositif, pose clairement la question d’un parallèle entre espace scénique et espace éclairé, comme si l’éclairage public mettait en scène le moindre de nos gestes au vu et au su de tous.

On voit ainsi comment chez Eric Foucault, l’observation se double toujours d’une réflexion, voire d’une prise de position sur les lieux qui nous entourent et la manière dont ils sont pensés par les autorités. Sans qu’il soit nécessaire d’appuyer sur le fait que les espaces et populations visés par la majorité de ses œuvres appartiennent à une portion presque niée de notre société, plusieurs de ses réalisations travaillent directement à renouveler le regard que nous portons sur ces territoires. De la sorte, l’artiste n’hésite pas à jouer des registres pour modifier l’échelle de valeur des espaces auxquels il s’intéresse. Buisson ardent, projet réalisé en 2002, en est un bon exemple. L’ancien « lieu de drague homosexuelle » qu’il décide d’étudier devient l’objet d’une mise en scène qui prend la forme de fouilles archéologiques filmées. Une fois ce chantier terminé, les « résidus » mis à jour sur place sont exposés et même muséifiés puisqu’ils sont présentés, tirés à quatre épingles, dans de véritables vitrines cernées de bois comme on en voit encore dans certains musées. Quand il fait appel aux outils d’évaluation et de représentation du géographe ou du sociologue la démarche est semblable ; il s’agit bien d’utiliser ces outils intellectuels afin de réévaluer des lieux non considérés. De nouveau, dans le cadre de la destruction de la ZUP Croix-Chevalier de Blois, il propose – via le photomontage – d’avoir recours au « Façadisme », technique que l’on utilise pour conserver en partie des bâtiments remarquables ; la remise en question de la hiérarchisation habituelle des espaces est évidente. Le travail d’Eric Foucault, à travers ses différentes interventions, constitue donc un élément de remise en cause des conventions qui régissent notre environnement et contribue sans aucun doute à la construction d’un regard renouvelé sur les formes de notre ville, de sa périphérie et de ses espaces incertains.

Frédéric Herbin, 2006

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